Quinn Latimer et Adam Szymczyk

L’immixtion politique et militaire continue des puissances occidentales et de la Russie en Syrie a conduit à un blocage sanglant, trop prévisible – une configuration que l’on rencontre fréquemment dans la politique internationale des va-t-en-guerre. En même temps, les conflits en Afghanistan, en Iraq et en Afrique subsaharienne se poursuivent. Ces guerres sont souvent une conséquence de la politique occidentale après la fin de l’ère coloniale ou d’interventions militaires ultérieures. Elles ont poussés des millions d’hommes et de femmes à fuir leur violence insupportable. Maintenant, ces personnes sont contraintes de mettre en péril leur propre vie et la vie de leurs enfants en traversant la mer Egée et la mer Ionienne, pour échouer ensuite en Grèce quasiment sans perspective d’obtenir l’asile. Elles sont ici piégées dans un Etat frappé par la crise, et à la suite du deal sur les réfugiés conclu entre l’Union européenne et la Turquie (note du traducteur : le 18 mars 2016 à Bruxelles), ils risquent le renvoi immédiat en Turquie. Ce deal, qui prévoit un échange « Un qui rentre, un qui sort » ou One in, one out (note du traducteur : pour chaque réfugié renvoyé en Turquie, celle-ci pourra un envoyer un autre – installé sur son territoire – dans l’UE, dans la limite maximale de 72.000) rappelle, sous une forme bizarrement modifiée, l’échange force de populations de 1923 entre la Grèce et la Turquie, suite au traité de Lausanne.

Extrait de l’éditorial de la revue « South », le magazine de l’exposition documenta 14. Quinn Latimer est la rédactrice en chef de « South » ; A. Szymczyk est le directeur artistique de la documenta 14.

Nikos Chilas

Il n’a plus de « main en or » : tout ce qu’Alexis Tsipras touche depuis l’été 2015 ne lui apporte pas de la chance, mais se retourne contre lui et son pays. D’abord, il a gâché le référendum du 05 juillet 2015, en transformant un « Όχι » (« OXI », Non) puissant en « Ναι » (« Ne », Oui) pleurnichant… en mécontentant les 61,3 % du peuple grec qui avaient nettement rejette, par leur vote, les exigences des créanciers. Ainsi il a transformé la victoire la plus importante du mouvement de masse depuis le début de la crise, en une défaite honteuse. Ensuite, il a donné à cette défait la forme d’une capitulation officielle, en signant pendant la nuit du 13 juillet 2015 à Bruxelles un document à travers lequel il a aliéné, ensemble avec la propriété publique, aussi la souveraineté nationale du pays. Enfin, après avoir provoqué la scission de son parti Syriza, il convoqua de nouvelles élections pour le 20 septembre dernier. Il les gagna certes haut la main, mais pour mettre sa victoire au service des créanciers.

Cette série ne s’est plus arrêtée, depuis. Ainsi les 10,3 milliards d’euros accordés à la mai-juin 2016 par le quatuor qui a remplacé la Troïka – composé de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne (BCE), du Fonds monétaire international (FMI) et du Mécanisme européen de stabilité (MES) – constituent-il un baiser qui tue, faisant encore accroître la montagne de la dette grecque. Il doit en utiliser la majeure partie pour honorer des emprunts d’Etat… et retourne ainsi tout de suite et automatiquement dans les caisses des créanciers. Il dépense le reste pour le règlement d’emprunts à court terme auprès de grandes entreprises privées. Ainsi il ne reste pas un seul euro pour des investissements productifs. Au même moment, son gouvernement doit satisfaire de nouvelles exigences des créanciers en matière fiscale et sociale, réduisant ainsi sa propre vision de la croissance et la redistribution socialement juste à un doux rêve. Comme ça toujours été le cas pour de telles « aides », il s’agit d’argent empoisonné qui n’aide le Premier ministre grec qu’à court terme, mais qui ne l’enfonce que davantage à moyen et à long terme.

« C’est la malédiction de ce qui a été mal acquis », a jugé le commentateur sur les ondes d’une station de radio grecque. La capitulation du 13 juillet 2015 a engendré un changement de paradigme dans l’histoire de la gauche à l’échelle européenne. Le président de Syriza et Premier ministre n’a pas seulement, selon les critiques, subi une défait historique. Il est aussi devenu – bien qu’involontairement -, poursuivent-ils, un « larbin » des créanciers, un exécutant de leur programme.

La malédiction est visiblement durable. Le gouvernement Tsipras doit, jusqu’à l’expiration du troisième programme d’aide (ou troisième « mémorandum ») à la mi-2018, réaliser au total 277 « réformes ». Jusqu’ici, elle n’en a mis en œuvre que 80, il en reste ainsi 197 d’inaccomplies. La réalisation de quinze « réformes » supplémentaires, dont celle du droit du travail qui vise entre autres le démantèlement de fait du droit de grève, est imminente. « Pas de répit pour Tsipras », conclut le quotidien économique allemand <I>Handelsblatt<I>. Le stress deviendra son compagnon de toujours.

L’absence de répit résulte de la nature même des mesures, qui se trouvent en contradiction flagrante avec le programme de Syriza. Deux exemples de ce qui a été décidé au cours des deux derniers mois :

  • des impôts supplémentaires de 1,8 milliard d’euros (entre autres l’augmentation de la TVA de 23 ù 24 %) ;
  • la création d’un nouveau fonds dans lequel sont versées toutes les valeurs patrimoniales de l’Etat grec ; parmi elles, 72.000 biens immobiliers. Son objectif est de réaliser une recette de cinquante milliards d’euros par la vente ou « valorisation » de ces biens, dont 50 pour cent seront utilisés pour la recapitalisation des banques, et 25 pour cent respectivement pour le règlement des dettes publiques et pour des dépenses productives de l’Etat grec. Le fonds est programmé pour une durée de 99 ans, son Conseil d’administration et son Conseil de surveillance sont placés sous la direction du Mécanisme européen de stabilité (MES). Ainsi le quatuor a imposé à la Grèce le plan économique le plus long de l’histoire ; il dépasse d’un facteur multiple les plans quinquennaux ou décennaux des pays du « socialisme réel ». A la fin, c’est la bradage total : le pays se sera aliéné lui-même, et ne possédera plus de biens publics.

Un exemple révélateur est la vent de l’ancien aéroport d’Athènes, Ellinikon, qui englobe 620 hectares et est situé directement au bord de la mer. A juste titre, il passe pour être le terrain littoral constructible le plus cher en Europe. Sa valeur est estimée par des experts indépendants à plus de trois milliards d’euros. Mais la direction du fonds l’a bradé pour 915 millions d’euros à l’armateur grec Latsis. Sur le terrain, on construit désormais des appartements de luxe pour 27.000 personnes ; le plan initial de construire un parc pour la population d’Athènes ne devrait pas voir le jour.

Tsipras se trouve dans un dilemme. Non seulement doit-il appliquer le « mémorandum » en cours, mais il doit aussi gérer l’« héritage » des deux mémorandums précédents. Cela correspond à des centaines de lois qui visent prétendument à moderniser l’administration, l’économie et les finances, mais qui transforment en réalité la Grèce en désert social.

Tspiras est la victime d’un chantage qu’il aurait pu éviter par une démission. Il s’est néanmoins décider à se maintenir au gouvernement et à appliquer le « mémorandum ». Malgré tout, il cherche sincèrement à adoucir les effets de sa politique en faveur des classes populaires. Cela constitue un travail titanesque, mais lui donne aussi sa meilleure excuse. Le fait qu’avec son « mémorandum » de gauche, il cause des dégâts irréversibles, il le justifie par l’idée que chaque autre chef de gouvernement à sa place aurait cédé bien davantage aux créanciers. Lui-même serait, à l’en suivre, en plus le garant d’une politique sociale et favorable à la croissance, menée en parallèle au « mémorandum » ou, plus exactement, qui serait prochainement menée grâce aux milliards issus du « Pacte d’investissement » de la Commission européenne.

Tout nous fait dire que la population ne fait plus confiance au Tspiras relooké. Il n’est que toléré, supporté, parce que les figures politiques de l’opposition ont l’air encore moins crédible. Son avenir ne dépend que des limites de cette patience.

Quand seront-elles atteintes ? Ce n’est pas clair. Les réunions publiques pour le premier jour anniversaire du référendum du 05 juillet pourraient fournir des premières indications à ce sujet. En Grèce (et ailleurs en Europe), d’innombrables gens se sentent floués par la transformation miraculeuse du « Non » en « Oui ». Des mobilisations de masse fortes, en ce jour, seraient un mauvais signe annonciateur pour Tspiras, aussi en vue des mesures programmées pour l’automne à venir…

Il est vrai que Tsipras, en tant que Premier ministre, a jusqu’ici été épargné de mobilisations de rue. Les grèves générales et professionnelles à partir de la mi-2015, à la suite de sa capitulation, sont restées limitées.

Ses propres expériences avec de telles actions sont majoritairement positives, puisqu’avant 2015, il a contribué à en organiser, et il les a alors gagnées. Cette période – située entre 2011 et 2015 – coïncide avec la montée en flèche de Syriza. En cette période, 27.103 () manifestations et rassemblements ont eu lieu en Grèce, à en suivre les statistiques du ministère de l’Intérieur – un record numérique. Ce potentiel énorme, Tspiras a su l’utiliser avec une main de maître, à ses propres fins… à une époque où tout ce qu’il prenait en main se transformait encore en or.

Mais aujourd’hui, il n’est plus l’alchimiste politique d’antan. Ni il ne pourra changer la signification du résultat du référendum, ni il ne pourra effacer de la mémoire des militant-e-s les milliers d’actions. Le jour anniversaire du 05 juillet offre ainsi un bonne occasion pour rafraîchir cette mémoire. Mais aussi pour de nouvelles mobilisation… cette fois-ci non pas en faveur de Tsipras, mais contre son « mémorandum ».

Nikos Chilas a été co-fondateur de FactCheck:HELLAS, il s’engage dans la rédaction de FCE t il écrit depuis 1999 pour le quotidien grec « To Vima ».

Après un conflit de travail de cinq semaines, les salarié-e-s du nettoyage de la société des bus d’Athènes (OSY) ont remporté une victoire, en Grèce. Comme beaucoup de salarié-e-s qu’on oblige à travailler dans des sociétés sous-traitantes, non seulement ils et elles n’avaient reçu aucun salaire pendant plusieurs mois, mais leur rémunération avait aussi réduite à 450 euros au lieu des 680 euros convenus pendant des années. Après deux grèves de huit et de quinze jours et largement soutenues par des militant-e-s de gauche et syndicalistes, tous les salaires non versés doivent être payés maintenant.

Les concerné-e-s étaient surtout des salariées immigrées et femmes. Apostolis Kassimeris, membre de la direction du syndicat des conducteurs de bus d’Athènes, a commenté : « L’importance particulière de cette grève réside dans le fait que beaucoup de ces salarié-e-s du nettoyage sont triplement opprimées : en tant qu’immigrées, femmes et bas salaires. Leur lutte est un exemple pour d’autres travailleuses et travailleurs, puisqu’il est désormais fréquent de voir que des salaires ne sont pas versés. » Il rapporte aussi qu’au début du conflit, les salarié-e-s du nettoyage osaient à peine adresser la parole à des représentants du syndicat. Ce furent ensuite quinze salarié-e-s dans un dépôt de bus qui ont rompu la digue : ils et elles se révoltaient et cessaient le travail. Finalement, des collègues dans tous les sept dépôts ont participé à la grève.

Ce conflit de grève jette aussi une lumière crue sur la politique du gouvernement de Syriza. Celui-ci est directement responsable du management de l’entreprise de bus publique ; et il aurait pu faire en sorte, très tôt, que le contrat avec le sous-traitant « Link Up » soit résilié et que les salarié-e-s soient embauchés directement par l’entreprise de transports. Cela n’a pas eu lieu. C’est seulement après un rassemblement de protestation des salarié-e-s du nettoyage devant le siège de Syriza qu’on a parlé avec elles, et qu’on leur a promis un soutien. [Texte : Sascha Stanicic]

Dimitris Aggelidis

Le deal du 18 mars 2016 entre l’UE et la Turquie a été enregistré dans les milieux officiels à Athènes avec soulagement, voire avec enthousiasme. Le gouvernement de Syriza s’oppose cependant, par là même, aux politiques et aux valeurs que ce parti a défendues pendant de longues années lorsqu’il était dans l’opposition, et qu’il a mises en œuvre pendant sa première année au gouvernement (note du traducteur : en 2015) : celles d’un rejet de la xénophobie et du racisme, l’accent mis sur les droits de l’homme et l’Etat de droit. Ces acquis sont maintenant démantelés. Avec un changement de législation, le gouvernement est intervenu, le 15 juin dernier, sans débat préalable pour modifier la composition des commissions qui décident sur les demandes d’asile. Le ministère de l’Immigration a présenté cette modification, à la surprise totale, dans le cadre d’un projet de loi sans importance par ailleurs. L’objectif est de rendre possible des expulsions collectives de réfugiés syriens et autres vers la Turquie.

Des réactions violentes ont suivi, à la fois au sein de Syriza et de la part d’associations et d’organisations des droits de l’homme. Ces dernières reprochent au gouvernement de miner l’indépendance de ces commissions et d’intervenir, de façon directement politique, dans la procédure d’asile.

Dans les trois premiers mois après de deal Union européenne – Turquie, les commissions d’asile ont souvent statué en faveur de ceux parmi les réfugiés qui avaient appelé contre des décisions de l’Office chargé de l’asile, rendues en première instance. Les commissions d’asile ont majoritairement jugé que les demandes des réfugiés étaient « justifiées », la Turquie n’étant pas un « pays tiers sûr ». Elles s’appuyaient, en décidant ainsi, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi sur les rapports d’organisations internationales, d’autorités indépendantes et d’organisations des droits de l’homme. Elles contredisaient frontalement la politique de l’UE qui cherche à maintenir les réfugiés dehors. L’UE refuse d’assumer ses responsabilités derrière les conséquences des guerres et les inégalités économiques globales.

Le gouvernement grec a résisté à la pression de l’UE, visant à faire reconnaître la Turquie comme un « pays tiers sûr ». Mais il a exercé à son tour une pression dans ce sens sur les membres des commissions d’asile. Ainsi on a fait circuler un courriel du Directeur général « immigration & affaires intérieures » de la Commission européenne, Matthias Ruete, comportant des directives pour identifier les cas où la Turquie pourrait être qualifiée de « pays tiers sûr ».

La Commission européenne a trouvé un chemin pour imposer sa politique. Comme il a été révélé par le « Journal des rédacteurs » grec (EFSYN), un cadre du ministère de l’Intérieur allemand a exprimé sa « surprise concernant les succès des recours en appel émanant de migrants et réfugiés », et il les a expliqués par « la participation d’ONG à la commission des réfugiés ». En même temps, il faisait une allusion lourde de sens aux contacts qui seraient en cours entre le ministre de l’Intérieur allemand et son homologue grec. Suite à cela, des fonctionnaires européens anonymes faisaient des déclarations dans la presse en diffusant le même mensonge : les commissions seraient composées de membres d’« ONG de la société civile ».

Bien entendu, aucune ONG ne participait aux commissions. Celles-ci étaient composées d’un fonctionnaire et deux membres nommés par le Conseil national des droits de l’homme – un organe consultatif indépendant auprès de l’Etat grec – et par le Haut commissaire des Nations Unies. La nouvelle composition, introduite par la modification législative, prévoit désormais deux membres de l’institution judiciaire et seulement un membre à nommer par le Haut commissaire. Il est extrêmement douteux que dans le cadre d’un tel organe, les membres de l’institution judiciaire puissent agir de façon indépendante. Déjà, dans beaucoup de leurs jugements, les tribunaux administratifs grecs n’ont pas réussi à protéger les droits de l’homme de réfugiés et de migrants qui, ultérieurement, ont obtenu gain de cause devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans la dernière période, des fonctionnaires et des ministres grecs se retournent publiquement contre des ONG, des mouvements de solidarité ou organisations des droits de l’homme pour dénigrer leurs critiques relatives à des violations de droits de l’homme. Ceci parce que la résistance tenace, qu’avait opposée la Grèce à la pression qui voulait obtenir la fermeture des frontières dans la mer Egée, n’a eu qu’un effet : la frontière de la forteresse Europa a été déplacée vers la frontière entre la Grèce et la Macédoine. Si la Grèce insistait de façon conséquente sur les droits de l’homme, elle serait obligée de prendre en charge un nombre inconnu de réfugiés, au milieu d’une crise financière profonde et sans disposer des institutions nécessaires dans le pays. La seule issue pour le gouvernement consistait à faire en sorte que le flux de réfugiés soit stoppé en Turquie – sans considération pour les droits de l’homme et la vie des réfugiés. La contrainte de se conformer à la nouvelle politique xénophobe de l’UE signifie une autre défaite du gouvernement de fauche. Une défaite d’autant plus douloureuse et complète qu’elle est présentée comme une victoire.

Dimitris Aggelidis travaille comme rédacteur pour le « Journal des rédacteurs » grec [EFSYN]

Le 16 mars 2016, a été signé à Barcelone en accord qui, en matière de politique vis-à-vis des réfugié-e-s, fait figure d’exemple positif. La maire de Barcelone, Ada Colau, la maire de l’île italienne de Lampedusa, Giuseppina Nicolini, ainsi que le maire de l’île grecque de Lesbos, Spyros Galinos, ont signé un accord de soutien en matière de migration. Ainsi la ville relativement riche de Barcelone a assuré de fournir aux deux îles de l’aide technique, logistique, sociale et environnementale pour que celles-ci puissent « atténuer les effets de l’arrivée massive d’hommes et de femmes qui cherchent ici un refuge ».

Ada Colau a déclaré : „Barcelone a significativement augmenté les moyens pour les associations qui travaillent avec des réfugié-e-s. Nous avons fédéré la solidarité des citoyens et citoyennes qui a été suscité par la crise des réfugiés. Face à l’inactivité flagrante de l’UE, nous devons faire nettement plus. Il est temps que nos villes fassent entendre leur voix. »

Giuseppina Nicolini (Lampedusa) a déclaré : « Nous avons besoin d’une nouvelle vision de notre patrie, la Méditerranée. Nous devons changer l’image de la mer en tant que frontière supposée. C’est l’UE qui nous impose cette définition fausse. »

Spyrios Galinos (Lesbos)a ajouté : « Nous devons démontrer la vraie racine du problème, et ce sont les bombes qui tombent sur la Syrie. Les personnes qui arrivent à nos côtes, ce sont les victimes. Lesbos n’a rien perdu de santé, y compris dans cette crise, au contraire. Nous continuons à conserver notre nature et la beauté qui naît par la solidarité de notre population. »

Sebastian Gerhardt

Immédiatement après le succès du vote pour le « Brexit », Nigel Farage de l’UKIP ou « United Kingdom Independence Party » a mis au clair qu’il n’avait jamais soutenue une promesse centrale de la campagne pour la sortie de l’UE. Il s’agissait des « 350 millions de livres » qui pourraient être versés chaque semaine au système de santé public britannique, si seulement ces virements inutiles à Bruxelles disparaissent. Or, ces 350 millions de livres (plus de 420 millions d’euros) ne viendront pas. Pas aujourd’hui, pas dans deux ans, pas du tout. Mais à Nigel Farage, ça ne pose aucun problème. Puisqu’il n’a jamais soutenu cette promesse. Seul l’ancien maire conservateur de Londres Boris Johnson, doit voir maintenant comment il va se débarrasser de la promesse qu’il avait faire en tant que dirigeant de la campagne de droite pour le « Brexit ».

Le Non de droite à l’UE tourne autour de deux sujets. L’un est la critique de la BCE, telle qu’elle est formulée aussi en Allemagne par le parti AfD. Les ultralibéraux considèrent la politique monétaire de la Banque centrale comme une immixtion illégitime dans le jeu des forces du marché. En particulier les taux d’intérêt bas de ces dernières années constituent, selon eux, une violation du droit de l’homme à encaisser des revenus financiers élevés à partir de son patrimoine. Le fait que la Banque centrale ne détermine pas les taux d’intérêt, mais doit elle-même suivre l’évolution des marchés – cette idée ne vient pas à l’esprit de ces petit-bourgeois mécontents. L’échec récent des opposants libéraux à la BCE en Allemagne, dont la demande a été rejetée par le Tribunal constitutionnel fédéral le 21 juin 2016, n’ébranlera pas leur confiance dans l’effet bénéfique d’une concurrence économique non entravée, seule croyance valable à leurs yeux.

Mais la politique monétaire ne pose pas de problème aux Conservateurs britanniques. Le Royaume Uni n’appartient pas à la zone euro. Toutes les critiques qui touchent le fonctionnement de celle-ci, qu’elles soient justifiées ou injustifiées, ne concernent donc pas le Royaume Uni. Par contre, les Conservateurs tout comme l’UKIP avaient, dès la campagne des législatives de 2015, mis le deuxième sujet du « Non de droite à l’UE » au centre : l’immigration. Au cours de cette campagne, le Premier ministre conservateur David Cameron avait promis la tenue du référendum sur l’appartenance à l’UE : en tant que moyen d’unir son propre parti, et de mettre la pression sur le Parti travailliste. Le deuxième objectif a été atteint, le premier non. Depuis des années, les Conservateurs britanniques montrent des réticences à l’égard de l’UE qui, de leur point de vue, intervient encore trop dans la vie économique pour la réguler. David Cameron a entamé ses négociations avec l’UE avec le slogan promettant une limitation de l’immigration. Un an plus tard, apprenti-sorcier, il se trouve devant les ruines de sa politique.

Dès la campagne des législatives en 2015, il s’agissait d’un côté des migrant-e-s qui tentent de trouver un moyen de traverser la Manche, par exemple depuis Calais. Peu de temps avant le référendum sur le « Brexit », la campagne a été nourrie par l’agitation contre des afflux de réfugié-e-s qui menaceraient le Royaume-Uni. Mais il était surtout question, de l’autre côté, de l’immigration « légale », dont celle de ressortissants de l’UE. En attendant, il est d’ailleurs beaucoup moins question de l’émigration depuis le Royaume-Uni : chaque année, entre 300.000 et 450.000 personnes quittent le pays.

Les médias aiment bien scandaliser l’immigration de travail depuis la Pologne, qui a été facilité de façon significative depuis l’adhésion de ce pays à l’UE en 2004. Il est vrai que fin 2013, parmi les un peu plus de 63 millions d’habitant-e—s de la Grande-Bretagne, selon les chiffres officielles, on y trouvait un peu moins de 700.000 personnes nées en Pologne. Des estimations officieuses évoquent environ un million. Parmi les immigrés d’origine européens, les Polonais forment le groupe le plus important. Mais pas tous parmi eux sont en âge de travailler, pas tous ont un emploi. Certes, l’immigration de travail se fait sentir sur le marché du travail. Et comme tous les migrants venant de pays moins riches, ces immigrés n’obtiennent pas les postes les mieux rémunérés. Parmi les camarades polonais de l’Inicjatywa Pracownicza, un syndicat de base progressiste, beaucoup ont déjà travaillé en Grande-Bretagne, pour une période plus courte ou plus longue, parfois à plusieurs reprises. Ils disent que sur les trois vrais mouvements de masse qui traversent la société polonaise – les supporters de football, l’Eglise catholique et les syndicats -, seuls dont ont eu droit de cité aux îles britanniques : l’Eglise et le football.

Reprocher au fameux « plombier polonais » de baisser les salaires, c’est ou stupide ou méchant. Dans un monde globalisé, sur tous les marchés du travail nationaux, des hommes et des femmes issus de conditions de vie très différentes se croisent. Ce qui, pour les uns, constituerait un salaire de misère parce qu’ils vivent avec leurs familles dans une métropole à prix élevés, peut constituer pour des migrants dont la famille vit dans la périphérie un moyen d’entretenir leurs proches. Cette contradiction est objective, et elle ne disparaîtra pas par des souhaits ou des slogans, mais seulement en organisant ensemble des perspectives solidaires.

Il y a vingt ans, c’étaient des ouvriers du bâtiment britanniques et irlandais qui poussaient sur le marché du travail allemand. Ceci parce que chez eux, il n’y avait pas de boulots, encore moins des boulots correctement payés. Bien avant Margaret Thatcher, s’est développé une longue tradition britannique d’austérité et de pression à la baisse des salaires. Et ensuite, sous Thatcher, les choses ne sont pas améliorées mais ont empiré. Mais sur le continent, les ouvriers du bâtiment pouvaient proposer leurs services en tant que sous-traitants ou travailleurs indépendants. Pour les employeurs allemands, ça signifiait : moins de cotisations sociales à payer. Les travailleurs venant des îles britanniques étaient « compétitifs ». Et cela a suscité des conflits. Mais quand des jeunes ont attaqué trois ouvriers du bâtiment anglo-jamaïcains, le 16 juin 1996 à Mahlow (Brandebourg, en ex-Allemagne de l’Est), il ne s’agissait pas de salaires, mais de racisme. Ils poursuivaient les ouvriers qui avaient pris la fuite et causèrent un grave accident de voiture. Depuis lors, depuis vingt ans donc, Noël Martin de Birmingham est paralysé, tétraplégique. A Mahlow, beaucoup de choses ont changé, comme pour beaucoup de communes de la banlieue de Berlin qui bénéficient du dynamisme de la ville. Et il y a un échange de jeunesse avec Birmingham, ainsi que des militant-e-s qui travaillent pour les réfugié-e-s et contre le racisme. Mais il y a aussi eu, en février 2016, un incendie criminel dirigé contre un bâtiment qui allait servir pour héberger des réfugié-e-s.

Le taux de chômage officiel en Grande-Bretagne n’était que de 5 pour cent en mai 2016. Pour la dernière fois, il était si bas en octobre 2005. L’autre versant de la médaille, ce sont les nombreuses personnes qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois en faisant un, voire plusieurs boulots. Or, cela n’a rien à voir avec l’immigration, mais tout avec presque 40 années de politique néolibérale. Avec la campagne pour le « Brexit », un courant au sein du Parti conservateur a réussi à canaliser le sentiment de révolte contre l’appauvrissement et la casse des droits sociaux, pour l’intégrer à un nouveau projet populiste de droite : contre « Bruxelles » et pour la patrie ! Tant que la révolte contre la propre misère qu’on subit est dirigée contre les immigrés, les élites peuvent se battre tranquillement entre eux pour la distribution des super-bénéfices. Dès lors que le vote ne porte que sur différentes variantes de la politique des dominants, ils n’ont rien à craindre. Bertolt Brecht avait mis en garde, jadis : « Le nationalisme n’est pas amélioré par le fait qu’il remplit la tête de gens pauvres. Par ce fait, il ne devient que totalement insensé. » Il avait raison.

Sebastian Gerhardt a été co-fondateur de FactCheck:HELLAS ; il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de FCE et gérant de la revue « Lunapark21 ».

En Irlande, la classe politique a été ébranlée par une lutte déterminée contre l’introduction de taxes sur l’eau. Avant l’introduction de ces taxes, fin 2014, la class ouvrière irlandais donnait l’impression d’être largement d’accord avec l’agenda des politiques d’austérité, à la différence du peuple grec récalcitrant.

Mais c’est alors que se sont produits – de façon inattendue – toute une série de manifestations massives, ces deux dernières années, et s’est développée une campagne de boycott victorieuse et bien ancrée dans les quartiers populaires qui a révélé que la moitié de la population ne souhaitait pas être docile.

Nous nous sommes engagés, dans ce mouvement, pour une tactique offensive. Nous sommes aussi prêts, ce faisant, à dépasser les limites de la loi. Au cours du conflit, le gouvernement précédent a dû effectuer quelques retraits tactiques, faire quelques concessions. Ainsi il a baissé les taxes prévues et a retardé leur introduction, en espérant que ça affaiblirait le mouvement. Mais ça n’a pas marché. Les taxes sur l’eau sont devenues un sujet central des élections législatives tenues en février 2016. Le résultat, c’était des fortes pertes pour les partis du gouvernement sortant, un renforcement de la gauche et la constitution d’un gouvernement minoritaire conservateur qui est très faible. Maintenant, un projet de loi est présenté avec lequel la taxation de l’eau serait suspendue. Avec cela, les taxes ne seraient pas officiellement supprimées. Mais les gens considèrent cela comme un succès. Ils en tirent la conclusion : ça vaut la peine de lutter. Les élites dirigeantes peuvent être battues.

Michael O’Brien est conseiller municipal du Socialist Party et a été élu pour l’ Anti-Austerity-Alliance à Dublin. Il est l’un des piliers de la campagne contre les taxes sur l’eau

 

 

Werner Rügemer

En France en 2016 : pour la première fois dans un pays de la « communauté des valeurs occidentale », il y a un mouvement de protestation massif et durable contre des « réformes » du droit du travail à l’ère néolibérale. Cela constitue un exemple pour l’Europe.

Le 15 décembre 2015, le président du groupement patronal MEDEF, Pierre Gattaz, avait déclaré : « Il est temps d’agir et il faut agir de façon extrêmement musclée. » Il exigeait du gouvernement qu’il supprime les règles rigides et protectionnistes du droit du travail jusque-là applicable. Ce n’est qu’ainsi que la France pourrait « renouer avec la croissance » et même atteindre « le plein-emploi ». Deux mois plus tard, le gouvernement du président François Hollande a publié un projet de loi portant « réforme » du droit du travail. Il correspond aux exigences principales du MEDEF.

Le projet de loi comporte d’abord les choses habituelles dans ce type de « réforme », comme on les trouve synthétisées dans l’« Agenda 2010 » qu’avait présenté le gouvernement allemand sous le chancelier (social-démocrate) Gerhard Schröder : assouplissement de la protection contre le licenciement, des contrats à temps partiel et à durée déterminée, extension du travail temporaire. Mais ce projet de loi va plus loin : il privilégie les accords d’entreprise, afin d’affaiblir délibérément les organisations syndicales. Il ne s’agit pas seulement de pousser la France à une compétition avec les autres pays de l’UE, en vue d’un nivellement des conditions sociales vers le bas. Il s’agit, en plus, d’aboutir à un tel nivellement vers le bas au détriment des salariés par la concurrence entre les entreprises en France.

Depuis mars 2016, des protestations massives se sont développées, aussi parce que Hollande n’avait pas de majorité au parlement en faveur du projet et qu’il souhaitait donc imposer le projet de façon autoritaire (note du traducteur : en ayant recours à l’article 49-3 de la Constitution). Des lycéens et étudiants, qui seront à l’avenir particulièrement concernés, quittaient les cours et se rassemblaient. Des places publiques ont été occupées. Le mouvement « Nuit debout » s’est développé. Des ouvriers ont fait grève, ont paralysé les infrastructures : dans le transport ferroviaire, dans les raffineries, dans les transports aériens et routiers, dans les centres de traitement des déchets et dans les ports et docks. De façon ciblée, une grève a été menée contre l’entreprise nord-américaine ADP, dont le siège central européen se trouve à Paris et qui prend en charge un maximum de services aux entreprises en matière de « gestion des ressources humaines ».

Les grandes organisations syndicales sont opposées au projet de loi, à l’exception notable de la CFDT. La CGT a appelé à des dons pour une caisse de grève, qui soutient des grévistes syndiqués mais aussi non syndiqués. Des manifestations massives et des sondages ont souligné : trois quarts de la population sont contre ce projet de loi.

L’état d’urgence contre les terroristes et contre les salariés

Pierre Gattaz a aussi exigé de prendre mesure sur l’état d’urgence décrété suite aux attentats terroristes, pour « faire la même chose contre le chômage de masse », selon lui avec un « état d’urgence pour la croissance et l’emploi ».

François Hollande a aussi satisfait cette exigence. Il accepte de se suicider politiquement, lui-même et son parti, et favorise ainsi la poussée à droite. Il a tenté de masquer l’évidence en ayant recours à un humour bizarre : il savait, a-t-il dit, qu’il était « sous surveillance de Bruxelles et de Berlin quant aux réformes », en ajoutant qu’il suffisait de « cocher une case ». Il a utilisé les mesures de l’état d’urgence décrétés pendant la coupe « Euro 2016 » de football. Des provocateurs policiers en civil ont initié des actions de « casse ». La police a employé la force de façon arbitraire contre les protestataires, des interpellés ont été transférés par groupes devant les tribunaux.

Comme avec l’ « Agenda 2010 » en Allemagne et la politique d’austérité de la Troïka en Grèce, la « réforme » du droit du travail en France est aussi liée avec une réduction de la dépense publique. Cela a conduit à des nouvelles formes de précarité et de sous-emploi ou de cumul d’emplois, non seulement dans des pays « faibles » de l’UE comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, mais aussi dans le pays « fort » et champion économique, l’Allemagne.

Une anticipation de l’application du CETA et TAFTA

La Commission européenne, elle aussi, pousse à aller plus loin. Elle vient d’avertir les bons élèves du gouvernement allemand de Merkel, leur faisant observer qu’il était illicite d’appliquer le salaire minimum aux chauffeurs routiers étrangers qui circulent en Allemagne. Avec les accords de libre-échange du CETA et du TAFTA, les deux régions économiques du monde qui sont déjà le plus intensément imbriquées – l’Union européenne et les Etats-Unis (avec le Canada comme appendice) – doivent être encore davantage pénétrées par le logique néolibérale. Elles sont déjà jusqu’ici les plus grands commanditaires de politiques de bas salaires et de précarité, que ce soit à l’intérieur de leurs pays ou dans les filiales réparties dans le monde entier.

En France, aussi, des entreprises anglo-saxonnes revêtent une position dominante dans les secteurs économiques en pointe de la technologie et du taux de profit : les technologies d’information et de communication, l’aérospatial, l’armement, la pharmaceutique, les transports, la gestion des ressources humaines.

32 pour cent de tous les investissements étrangers dans l’UE se concentrent désormais sur des entreprises des Etats-Unis ; à leur tête se trouvent actuellement Amazon, General Electric, IBM, UPS, Uber mais aussi des gestionnaires d’actifs financiers tels que Blackrock, Carlyle t Blackstone. La France a été, ces dernières années, celui parmi les pays de l’UE qui a été préféré par les investisseurs états-uniens (auparavant c’était l’Allemagne fédérale). Selon le rapport annuel 2015 de <I>Business France<I>, la France était ainsi située largement devant même les Pays-Bas et la Grande-Bretagne.

On peut démontrer cela aussi dans l’entreprise du MEDEF, Pierre Gattaz : Radiall, cotée à la bourse de New York, a surtout une activité de fournisseur de haute technologie pour des entreprises états-uniennes, dont Boeing, Rockwell, Motorola, ITT Defense, mais aussi pour les entreprises européennes Thalès et Airbus. Surtout dans ces filiales à l’étranger, Radiall occupe majoritairement des salariés intérimaires. Gattaz, qui qualifie la France d’« enfer fiscal pour les entreprises » ce qui inhiberait la croissance, ne paye lui-même que 3 pour cent d’impôt sur les bénéfices en France tout en s’assurant de forces subventions publiques. Voilà tout le programme néolibéral endurci.

Mise en réseau à l’échelle européenne

Les protestations en France sont exemplaires. 1. Elles ont lieu pour la première fois dans un pays capitaliste central ; jusqu’ici, de telles « réformes » du droit du travail étaient passées sans qu’il y ait des résistances comparables, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Roumanie, en Bulgarie, en Espagne, en Irlande et en Italie. 2. Les protestations sont innovatrices, durables et puissantes. 3. La protestation massive démontre aussi des perspectives : critique de l’ensemble de la politique d’austérité qui ne détruit pas seulement la cohésion à l’intérieur de la société, mais aussi la cohésion européenne ; des propositions pour des produits créateurs d’emploi et pour des investissements à canaliser par exemple vers la transition écologie en matière d’énergie et des transports ; réduction du temps de travail pour tou-te-s.

La mise en réseau des mouvements protestataires à l’échelle européenne et transatlantique (aux Etats-Unis, ils deviennent visibles politiquement pour la première fois depuis des décennies, à travers la candidature de Bernie Sanders aux primaires de l’élection présidentielle) est à l’ordre du jour. En Belgique ont lieu des protestations similaires à celles en France, mais moins médiatisées, contre la « réforme du droit du travail » locale (voir encadré page 8). En Grèce, l’initiative MayDayStoptheCoup a appelé à la valorisation du travail et à la conclusion de conventions collectives (voir son appel en cinq langues sur : www.mayday.gr). Le Conseil d’ATTAC Allemagne a appelé, ensemble avec huit autres initiatives, à la solidarité européenne (voir www.arbeitsunrecht.de). Le sommet alternativ Alter Summit invite pour les 25 et 26 novembre prochains à Bruxelles sous le titre : « Droits sociaux et droit du travail : renforcer et mettre en réseau les luttes en Europe » (voir www.altersummit.eu/mobilisation).

 

<I>Werner Rügemer a publié en 2014, ensemble avec Elmar Wigand, le livre « Die Fertigmacher. Arbeitsunrecht und professionelle Gewerkschaftsbekämpfung » (édition PapyRossa).

 

Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les acti-ve-s – tel était le titre officiel, encombrant, du projet de loi « Travail ». (Note du traducteur : il a cependant été remplacé avant la troisième lecture au parlement, qui a eu lieu début juillet 2016, par « Projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ».)

On remarque que les termes de « salarié-e-s » ou « travailleurs » avaient été remplacés, avec ce titre initial, par le terme neutre d’« activ-e-s ». Bien que le gouvernement ait tâché d’utiliser aussi la forme féminine pour faire progressiste, ce remplacement est lourd de sens.

Le cynisme gouvernemental veut surtout que les « nouvelles libertés » et « nouvelles protections » soient uniquement accordées aux directions d’entreprise. Nulle part dans le projet de loi, on ne peut trouver des nouvelles libertés ou nouvelles protections au profit des salarié-e-s, au contraire. Il s’agit de donner plus de libertés aux patrons, par exemple pour licencier, pour faire effectuer des heures supplémentaires, avoir recours aux CDD, dès lors que la « situation du marché » de l’entreprise l’exige… selon la définition qu’en donnent les chefs d’entreprise.

Le projet de loi va, sur certains points, plus loin que l’« Agenda 2010 » allemande qui lui a servi de modèle. Les employeurs pourront augmenter le temps de travail sans augmenter la rémunération ; les accords d’entreprise sont favorisés en affaiblissant délibérément les organisations syndicales. Le rôle de la médecin du travail est limité.

Le gouvernement sous le président « socialiste » François Hollande qu’il a, avec ce projet de loi, au moins 70 % de la population contre lui ; et encore davantage dans l’électorat du Parti Socialiste. C’est pour cela qu’il a eu recours, à deux reprises, à l’article 49-3 de la Constitution qui lui permet de faire adopter un texte sans débat de fond.

Bernard Schmid

Ce qui est presqu’étonnant, c’est qu’il a tenu si longtemps : le mouvement d’occupation de places publiqus, « Nuit debout », a fêté les 100 jours de son existence, samedi 09 juillet 2016 sur la place de la République, à Paris. Il était né à partir du 31 mars, formant une composante du mouvement de protestation contre la « Loi travail ». Certes, depuis le lundi 11 juillet, il n’y a plus de rassemblement officiel de « Nuit debout » sur la place parisienne, parce qu’il n’y a plus de déclaration en préfecture pendant la période estivale. Le 31 août, ce sera à nouveau le cas, alors que des membres de « Nuit debout » continuent de travailler ensemble de façon plus informelle, en attendant.

Depuis la fin juin 2016, les grèves ont reflué. C’est aussi lié au fait que des salarié-e-s grévistes ont subi des pertes de salaire sèches, parfois de plusieurs semaines. Pour la première fois à une échelle aussi massive, des caisses de solidarité ont été créés pour organiser la solidarité financière avec les grévistes. L’intersyndicale, composée de sept organisations et qui avait organisé les treize « journée d’action » successives depuis le 09 mars jusqu’au 05 juillet 2016, appellera à son tour à de nouvelles mobilisations qui auront lieu le 15 septembre prochain.

Le 23 juin dernier, la manifestation de la dixième « journée d’action » avait d’abord été interdite par le gouvernement, à Paris. C’était une première depuis la fin de la guerre d’Algérie. Autorisée après un tollé dans la presse, elle a cependant dû se tenir sur une distance qui ne dépassait pas 500 mètres, avant de faire demi-tour et de revenir à son point de départ : la place de la Bastille. Le trajet total était d’un kilomètre et demi. Surtout, la place de la Bastille – lieu du début et de la fin de la manifestation – était entourée par un fort dispositif policier, placé en cercles concentriques autour de la place. Les participant-e-s devaient passer pas moins d quatre cordons de CRS et de gendarmerie mobile et accepter de faire fouiller leurs affaires. Plus de 80 personnes ont été interpellées ce jour-là à Paris, et 113 à l’échelle nationale, souvent simplement pour avoir été en possession de lunettes de plongée ou d’autres protections contre les gaz lacrymogènes.

Les 28 juin et 05 juillet, lors des deux « journées d’action » suivantes, la Bourse du travail de Paris – située au 3, rue Château d’Eau a été cerné de forces de police qui maintenaient à l’intérieur des centaines de personnes, désireuses de se rendre collectivement à la manifestation. Les autorités les soupçonnaient de vouloir participer aux « cortèges de tête » des manifestations, qui, pendant le mouvement social du printemps 2016, se plaçait souvent devant le carré de tête officiel et dont la composition est plus jeune. Pendant une certaine durée, personne ne pouvait sortir de la Bourse du travail, alors qu’à d’autres moments, ne pouvaient sortir que les personnes qui acceptaient de se faire fouiller individuellement.

En tout et pour tout, le mouvement du printemps 2016 aura aussi été un laboratoire pour des nouvelles politiques répressives du gouvernement français.

Bernard Schmid, juriste et journaliste à Paris