Peu de jours après le coup d’Etat militaire du 21 avril 1967, par lequel les colonels fascistes avaient pris le pouvoir en Grèce, Fotios Gouras – un membre de la CSU (Union Chrétienne-Sociale) en Bavière/Allemagne et ami personnel de son chef Franz-Josef Strauß – fonda à Munich le «Mouvement national des Grecs en République fédérale d’Allemagne – E.K.E.». Cette organisation choisit de s’orner avec l’emblème des fascistes grecs, un phénix accompagné d’un soldat muni d’une baïonnette. Les cadres d’E.K.E. mouchardaient des travailleurs immigrés grecs en Allemagne fédérale et terrorisaient des étudiant-e-s grecs protestant contre la junte. Franz-Josef Strauß, alors l’un des principaux dirigeants politiques ouest-allemands, déclara peu de temps après le putsch d’Athènes: «La drachme est désormais la monnaie la plus stable du monde.» Les colonels tiraient profit de ce propos public pour attirer des investisseurs.
La directeur de cabinet de Monsieur Strauß, Marcel Hepp, se rendit rapidement en Grèce après le putsch pour des «consultations politiques» avec le nouveau pouvoir militaire. Peu de temps après, c’était au tour de Franz Sackmann – secrétaire d’Etat au ministère bavarois de l’Economie – d’y atterrir et de promettre une aide économique. En 1968, Fotios Gouras se rendit à Athènes, pour devenir conseiller auprès du vice-Premier ministre Nikolaos Makarezos. A partir de ce moment, un réseau dense de relations politiques fut noué entre Athènes et Munich. Une visite d’Etat de Franz-Josef Strauß à Athènes ne se faisait pas attendre.
Dans les médias allemands, les articles favorables aux régimes de tortionnaires au pouvoir à Athènes se multipliaient alors. Des journaux allemands tels que «Nürnberger Zeitung» (publié à Nuremberg), «Regensburger Bistumsblatt» (le journal lié à l’évêque de Ratisbonne), «Stuttgarter Nachrichten» (publié à Stuttgart), dans le quotidien national «Die Welt» (comparable au «Figaro» en France) ou encore le «Bayernkurier» (Courrier bavarois), organe direct du parti CSU. A la télévision allemande, l’émission politique «Report» comportait alors des reportages à la gloire du régime d’Athènes.
Après la chute du régime des colonels, il y a eu des révélations. Leur régime n’avait pas lesiné sur les moyens et avait graissé la patte à des responsables de journaux allemands ainsi que des chaînes de télévision. La Cour de comptes grecque publia, au milieu des années 1970, des factures qui documentaient les versements effectués à des médias allemands. C’était l’attaché de presse de l’ambassade de Grèce à Bonn (alors capitale fédérale de l’Allemagne de l’Ouest) qui avait versé les sommes en question. Il avait noté méticuleusement les dates des versements, en se référant aux médias concernés et à la publication des articles concrets qui étaient favorables à la junte en Grèce. Des journalistes de premier plan se trouvaient parmi les destinataires de ces paiements.
Après la chute du régime des colonels grecs, en 1974, les contacts de la droite allemand avec les fascistes grecs n’étaient aucunement rompus. Dès le printemps 1975, Franz-Josef Strauß se trouva à nouveau à Athènes. Il demanda au nouveau gouvernement sous le Premier ministre (conservateur) Konstantin Karamanlis de «ne pas poursuivre» les colonels ayant institué la junte, «dans l’intérêt de la paix nationale». Fotios Gouras, toujours membre de la CSU allemande/bavarois, fonda un «Parti chrétien-démocrate de Grèce (Chrike)» à travers lequel la CSU souhaitait exercer une influence sur la politique grecque. Encore à la date du 13 mars 1976 – deux ans après la chute de la junte –, Franz-Josef Strauß se rendit à Athènes pour y rencontrer d’anciens ministres du régime fasciste antérieur. Le gouvernement Karamalis protesta contre cette «ingérence dans les affaires intérieures de notre pays».
Toutes les citations ont été publiées une première fois dans: Der Spiegel numéro 39/1976