La Grèce approche du défaut de paiement. Il est possible que dès les prochains jours, la Grèce glisse vers la sortie de la zone euro. Dans ce cas, une révision complète des finances publiques sera de toute façon nécessaire. Mais même si le pays obtient un sursis à travers de nouveaux compromis, le pronostic de la faillite reste valable.
C’est la «Troïka», ancienne et nouvelle, qui porte la responsabilité des destructions dans ce pays. Cette «Troïka» est composée en vérité du Fonds monétaire international (FMI) en tant que représentant du capital financier, de l’Union européenne – représentant les intérêts des grandes entreprises européennes – et du gouvernement de Berlin, représentant le capital allemand en tant que plus fort groupe de capitaux au sein de l’UE. Pour les seuls mois de juin à septembre 2015, le pays doit payer 13,1 milliards d’euros à ses créanciers, c’est-à-dire plus qu’il peut obtenir au maximum – au cas où la dernière tranche des crédits promis sera pleinement versée, c’est-à-dire environ 7,5 milliards d’euros – par ses créanciers. Ces dernières semaines, les dirigeants politiques à Athènes ont fait ramasser jusqu’au dernier euro, puisant jusque dans un fonds de secours festiné aux situations de catastrophe. Les médias réagissent, piqués au vif: «Pillage des comptes!» annonce ainsi le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung du 13 mai 2015. Mais qui pille qui? Les mesures drastiques, annoncées en Grèce, ont lieu parce que le FMI, l’Union européenne et le gouvernement fédéral allemand «pillent» ce pays depuis cinq années; parce que ces trois acteurs renforcent leur étranglement depuis fin janvier 2015. Tout en nous embrouillant avec leur bla-bla à propos de la nécessite d’une «austérité».
En Grèce, c’est depuis 2010 qu’une stricte politique d’austérité est imposée. Ce dernier mot – à la base duquel se trouve la racine latine «austeritas» – est habituellement expliqué en lui donnant le sens de «rigueur», ou aussi de «cure d’assainissement». Cela semble rappeler les principes d’une gestion économe. Or, le mot latin signifie aussi «l’être sombre, sinistre». Cela décrit mieux les choses.
Ce qui est imposé, c’est une politique de coupes sombre et sinistre, sur le dos des pauvres, des chômeurs-chômeuses, mais aussi des salarié-e-s. De cette façon, en Grèce, depuis 2009, les salaires nets et les retraites ont été baissés de jusqu’à 30 %, les dépenses publiques ont été réduites de jusqu’à 40 %, et le nombre de salarié-e-s du secteur public a été ramené de 952.500 à 573.900. Le chômage a plus que triplé, pour atteindre presque 30%. Le chômage des jeunes a atteint un niveau record dépassant les 60%. Même si nous prêtions pas attention aux aspects humains et sociaux, il est évident: cette politique économique produit des conséquences sombres et sinistres, aussi pour l’économie nationale.
Est-ce que les sacrifices sociaux et humains correspondent-ils, au moins, à une consolidation du budget de l’Etat? En réalité, l’endettement de la Grèce augmente en relation au PIB. D’une proportion de 110% du PIB, avant la crise, il est monté à 180 %. Quelle conséquence sinistre de l’ «austérité»: un endettement en augmentation permanente!
La Grèce constitue-t-elle peut-être une exception? N’existe-t-il pas ces exemples brillants de pays de la périphérie européenne ayant «réussi», dont on dit que «l’austérité, ça marche»! Mais voilà les résultants: l’Irlande était endettée, avant la cure d’austérité, à hauteur de 44 % de son PIB; en 2014, ce furent dorénavant 110 %. En Espagne, cet indicateur décisif est passé de 53% à 100%. Et au Portugal, de 84% à 130%. Même à l’échelle de l’eurozone dans son ensemble, le taux d’endettement a augmenté. Une conséquence hautement sombre de l’austérité: un endettement qui se trouve généralement en augmentation.
Mais pourquoi, pourrait-on demander, on applique alors cette recette de l’austérité, si celle-ci produit aussi des inconvénients en termes d’économie nationale? En réalité, ces inconvénients observés dans la périphérie européenne se traduisent, ailleurs, en avantages. Pour ne nommer que ces trois avantages: (1) Les déficits dans la balance de paiement des pays de la soi-disant périphérie européenne se chiffrent, depuis 2009, à plus de 500 milliards d’euro. Cela profite en réalité surtout au troisième membre de la véritable «Troïka»: l’excédent de la balance des paiements de l’Allemagne était d’environ 1.000 milliards euros depuis 2009. (2) Le secteur financier fleurit, en raison de l’endettement de la périphérie. Prenons l’exemple de la Grèce. Depuis 1991, la Grèce a payé au total 664 milliards d’euros au titre des taux d’intérêt et de la dette à des entreprises du secteur financier; c’est le double de la somme globale de la dette. Cela profite surtout au membre numéro 1 de la véritable «Troïka»: au FMI, en tant que représentant du secteur financier international. (3) La politique d’austérité entraîne, à l’échelle de toute l’Union européenne, une baisse drastique du «coût du travail». Sur place, les salaires baissent. Une main-d’œuvre peu chère, bien formée (des médecins, des ingénieurs…) est «exportée» de la périphérie européenne vers les centres prospérant. La baisse du niveau des salaires dans la périphérie européenne agit, partout, comme un facteur de dumping salarial. Cela profite à son tour aux grands groupes et aux banques dans toute l’Union européenne, le numéro 2 de la véritable «Troïka».
La recette austéritaire ne sert que la spéculation, le gain spéculatif et la maximisation des bénéfices. Elle empoisonne l’Europe: sur le plan social, moral et à l’échelle de toute la société. La solidarité avec la population grecque, ça signifie aussi de défendre les niveaux sociaux et démocratiques dans toute l’Europe.