Dimitris Aggelidis
Le deal du 18 mars 2016 entre l’UE et la Turquie a été enregistré dans les milieux officiels à Athènes avec soulagement, voire avec enthousiasme. Le gouvernement de Syriza s’oppose cependant, par là même, aux politiques et aux valeurs que ce parti a défendues pendant de longues années lorsqu’il était dans l’opposition, et qu’il a mises en œuvre pendant sa première année au gouvernement (note du traducteur : en 2015) : celles d’un rejet de la xénophobie et du racisme, l’accent mis sur les droits de l’homme et l’Etat de droit. Ces acquis sont maintenant démantelés. Avec un changement de législation, le gouvernement est intervenu, le 15 juin dernier, sans débat préalable pour modifier la composition des commissions qui décident sur les demandes d’asile. Le ministère de l’Immigration a présenté cette modification, à la surprise totale, dans le cadre d’un projet de loi sans importance par ailleurs. L’objectif est de rendre possible des expulsions collectives de réfugiés syriens et autres vers la Turquie.
Des réactions violentes ont suivi, à la fois au sein de Syriza et de la part d’associations et d’organisations des droits de l’homme. Ces dernières reprochent au gouvernement de miner l’indépendance de ces commissions et d’intervenir, de façon directement politique, dans la procédure d’asile.
Dans les trois premiers mois après de deal Union européenne – Turquie, les commissions d’asile ont souvent statué en faveur de ceux parmi les réfugiés qui avaient appelé contre des décisions de l’Office chargé de l’asile, rendues en première instance. Les commissions d’asile ont majoritairement jugé que les demandes des réfugiés étaient « justifiées », la Turquie n’étant pas un « pays tiers sûr ». Elles s’appuyaient, en décidant ainsi, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi sur les rapports d’organisations internationales, d’autorités indépendantes et d’organisations des droits de l’homme. Elles contredisaient frontalement la politique de l’UE qui cherche à maintenir les réfugiés dehors. L’UE refuse d’assumer ses responsabilités derrière les conséquences des guerres et les inégalités économiques globales.
Le gouvernement grec a résisté à la pression de l’UE, visant à faire reconnaître la Turquie comme un « pays tiers sûr ». Mais il a exercé à son tour une pression dans ce sens sur les membres des commissions d’asile. Ainsi on a fait circuler un courriel du Directeur général « immigration & affaires intérieures » de la Commission européenne, Matthias Ruete, comportant des directives pour identifier les cas où la Turquie pourrait être qualifiée de « pays tiers sûr ».
La Commission européenne a trouvé un chemin pour imposer sa politique. Comme il a été révélé par le « Journal des rédacteurs » grec (EFSYN), un cadre du ministère de l’Intérieur allemand a exprimé sa « surprise concernant les succès des recours en appel émanant de migrants et réfugiés », et il les a expliqués par « la participation d’ONG à la commission des réfugiés ». En même temps, il faisait une allusion lourde de sens aux contacts qui seraient en cours entre le ministre de l’Intérieur allemand et son homologue grec. Suite à cela, des fonctionnaires européens anonymes faisaient des déclarations dans la presse en diffusant le même mensonge : les commissions seraient composées de membres d’« ONG de la société civile ».
Bien entendu, aucune ONG ne participait aux commissions. Celles-ci étaient composées d’un fonctionnaire et deux membres nommés par le Conseil national des droits de l’homme – un organe consultatif indépendant auprès de l’Etat grec – et par le Haut commissaire des Nations Unies. La nouvelle composition, introduite par la modification législative, prévoit désormais deux membres de l’institution judiciaire et seulement un membre à nommer par le Haut commissaire. Il est extrêmement douteux que dans le cadre d’un tel organe, les membres de l’institution judiciaire puissent agir de façon indépendante. Déjà, dans beaucoup de leurs jugements, les tribunaux administratifs grecs n’ont pas réussi à protéger les droits de l’homme de réfugiés et de migrants qui, ultérieurement, ont obtenu gain de cause devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans la dernière période, des fonctionnaires et des ministres grecs se retournent publiquement contre des ONG, des mouvements de solidarité ou organisations des droits de l’homme pour dénigrer leurs critiques relatives à des violations de droits de l’homme. Ceci parce que la résistance tenace, qu’avait opposée la Grèce à la pression qui voulait obtenir la fermeture des frontières dans la mer Egée, n’a eu qu’un effet : la frontière de la forteresse Europa a été déplacée vers la frontière entre la Grèce et la Macédoine. Si la Grèce insistait de façon conséquente sur les droits de l’homme, elle serait obligée de prendre en charge un nombre inconnu de réfugiés, au milieu d’une crise financière profonde et sans disposer des institutions nécessaires dans le pays. La seule issue pour le gouvernement consistait à faire en sorte que le flux de réfugiés soit stoppé en Turquie – sans considération pour les droits de l’homme et la vie des réfugiés. La contrainte de se conformer à la nouvelle politique xénophobe de l’UE signifie une autre défaite du gouvernement de fauche. Une défaite d’autant plus douloureuse et complète qu’elle est présentée comme une victoire.
Dimitris Aggelidis travaille comme rédacteur pour le « Journal des rédacteurs » grec [EFSYN]