L’Europe démocratie et sociale, un projet de toute façon inachevé, se trouve devant l’abîme en cette fin juin 2015. Mais en face de l’abîme, les uns – en tant que créanciers – vivent au Grand Hôtel, dans le grand luxe et avec un beau panorama, alors que les autres en tant que débiteurs endettés se trouvent sur un écueil, toujours menacés de la chute dans la faillite.
Une « Troïka » composée d’institutions puissantes fait en sorte que le menace se transforme en chantage. Aucune chance n’est laissée à des débiteurs tels que la Grèce : la menace de la chute dans la faillite est censée rendre docile le gouvernement. Des alternatives sociales et politiques à l’Austérité imposée sont frappées d’un tabou. Même le référendum, proposé par le gouvernement de Syriza, sur le plan de mesures d’économies imposée par la «Troïka» a été interprété par l’Eurogroupe des ministres des Finances (un club à caractère technocratique, non pas une institution politique responsable devant les électeurs et électrices) comme une provocation. Ils punissent l’initiative démocratique émanant de Syriza en excluant le ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, des délibérations du soi-disant Eurogroupe. Ils sont suffisamment sans honte de violer le droit européen pour assouvir leur besoin de vengeance néolibéral. Le spectacle offert par Wolfgang Schäuble, Jeroen Dijsselbloem et les autres entrera dans l’histoire européenne comme celui d’un attentat-suicide grandiose de la classe politique, dirigé contre le projet d’une intégration européenne.
La politique d’austérité qui ruine des budgets d’Etat et détruit des sociétés est menée par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne ensemble avec l’Eurogroupe, en concertation avec les grandes puissances économiques de l’Europe. L’Allemagne, gouvernée par la Grande coalition (droite chrétienne-démocrate et social-démocratie) sous Wolfgang Schäuble, Sigmar Gabriel et Angela Merkel fait figure de moteur. Avec leur politique d’austérité et de casse sociale, de blocage des investissements destinés au renouveau économique, de pression sur les salaires de la masse de la population et d’affaiblissement des syndicats, ils ont fait en sorte qu’en Grèce, le chômage a été triplé entre 2007 et 2014, passant à presque 30 %. Le chômage des jeunes, passant à près de 60 %, a plus que doublé. Il n’est ainsi pas étonnant de constater que le PIB est réduit d’un quart, que l’endettement des particuliers a augmenté de 66 % par rapport à avant la crise et que le taux d’endettement public est monté à presque 180 % du PIB. Partout en Europe, la situation sociale et économique des populations s’est dégradée, mais en Grèce, de façon particulièrement radicale.
Face à cet échec patent de la politique de la «Troïka», il est compréhensible et juste que le gouvernement grec tire le frein d’urgence et qu’il veuille suivre une autre route que le trajet programmé par ceux réunis au Grand Hôtel près de l’abîme ; d’autant plus que les gouvernements d’avant l’arrivée de Syriza ne peuvent présenter aucun succès, bien qu’ils aient sagement obéi aux directives de la «Troïka».
Ce faisant, Syriza n’agit pas seulement dans l’intérêt de la Grèce. De toute évidence, il y a lieu de corriger une erreur de construction de la «maison commune européenne»: ses habitants et habitantes ne sont pas des citoyennes et citoyens avec des droits (et devoirs) égaux, mais d’un côté des fortunés dont la richesse augmente aussi dans la crise et avec la crise, et de l’autre côté des débiteurs dont la charge de la dette grandit sans cesse dans la crise et à cause de la crise. Dans l’Europe de 2015, on peut apprendre ce qu’enseignait le grand philosophe grec Aristote: l’argent divise; pour cette raison, on ne saurait fonder une société libre et démocratique sur une union monétaire, en suivant la logique de l’argent. Une «maison commune» exige plus qu’une caisse commune, gérée par des «institutions», d’autant plus si les représentants de celles-ci sont incompétents et remplis de haine contre toute alternative démocratique.
La politique euro-libérale des 25 dernières années, depuis le document fondateur de la zone euro – le Traité de Maastricht de 1991 –, a contribué à la division de la société européenne. La Grèce en constitue l’exemple le plus dramatique. D’autres suivront. C’est pour cela que le gouvernement conduit par Syriza et son Premier ministre Alexis Tsipras ont raison de demander le respect des intérêts du peuple grec, d’exiger le respect de la dignité humaine et un renforcement de la participation démocratique. Un vote démocratique est une nécessité. Il constitue un progrès, comparé aux diktats «sans alternative» de la Troïka qui réduisent la marge de manœuvre démocratique jusqu’à zéro.
Il ne s’agit pas uniquement d’une affaire grecques. Les événements actuels autour de la Grèce concernent tous les Européens et toutes les Européennes. L’initiative d’organiser le référendum sur la démarche ultérieure dans la crise de la dette fait regagner aux populations une partie des droits démocratiques qui avaient été écrasés par le véhicule de la Troïka. Nous soutenons cette initiative parce qu’elle correspond aussi à nos intérêts. Nous nous opposons aux tentatives des ministres des Finances de la zone euro de vouloir extirper ce petit peuple grec de l’Europe ; ce peuple grec «dont le talent universel et l’activité lui a assuré une place dans l’histoire du développement de l’Humanité telle qu’aucun autre peuple ne peut y prétendre», comme l’a dit Friedrich Engels, dont nous commémorerons les 120 ans de sa mort en 2015.
Que reste-il de l’Europe sans la Grèce ? Un désert déculturé, contaminé par le néolibéralisme, géré de façon autoritaire par les «institutions».
Il devrait aller de soi que le vote démocratique sur la politique de la Troïka, en Grèce et dans d’autres pays européens, soit respecté par les «institutions». Toutes les menaces qu’on peut entendre ces jours-ci, émanant de l’Eurogroupe, de la Banque centrale européenne et du gouvernement fédéral allemand et selon lesquelles on va arrêter immédiatement tout soutien nécessaire à Athènes, sont irresponsables et antidémocratiques.
Ici, on brandit ouvertement la menace d’un chaos financier afin d’étrangler ainsi la démocratie. «Le temps c’est de l’argent», telle est la première règle des responsables des Finances de la zone euro. Ils ne comprennent même pas que des procédures démocratiques nécessitent du temps, qu’il faut se payer le luxe de prendre du temps pour arriver à des résultats largement acceptés. Des solutions pour la grave crise présente ne doivent pas accabler les endettés aves des diktats durs, voire brutaux et impossibles à satisfaire. Les créanciers doivent contribuer aux coûts de la crise. Une insolvabilité, une crise doit être résolue d’un commun accord, non par des accusations unilatérales et en accablant d’Austérité les hommes et les femmes dans le pays endetté. Il ne faut pas que ceux qui sont réunis dans les salons du Grand hôtel près de l’abîme oublient que les spéculateurs financiers et leurs serviteurs politiques portent la responsabilité principale pour les misères de la crise de la dette. Les ministres des Finances de l’Eurogroupe ont oublié cela. Ils sont responsables d’un désastre créé par eux-mêmes, dont on demande maintenant à la population grecque de payer les pots cassés et qui frappera, avec un décalage dans le temps, aussi d’autres peuples en Europe.
Honte à la classe politique dans l’Union européenne ! Solidarité avec la population en Grèce! Notre respect va au gouvernement démocratiquement élu, et pratiquant la démocratie, à Athènes.