Norman Paech [1999]

Lorsqu’il est question de crimes de masse de la Wehrmacht allemande, on évoque les noms de Lidice (en République tchèque), Oradour-sur-Glane en France, Babi Jar en Ukraine; mais peu d’autres noms. Les villes de Kragujevac en Serbie, Kortelisy en Ukraine ou encore Distomo, Kalavrita, Kandanos, Klissoura et Kommeno en Grèce ne trouvent même pas mention dans l’ «Encyclopédie de l’Holocauste». Alors que ces lieux ne constituent que quelques exemples parmi de nombreux endroits en Europe de l’Est et dans les Balkans où des crimes de guerre comparables ont été commis. Ce n’est pas l’absence de sources d’information qui explique cette ignorance largement répandue. L’un des douze procès de Nuremberg qui suivaient celui des accusés principaux de 1945/46, le dossier numéro 7 concernant les « généraux du Sud-Est » (du Sud-Est de l’Europe), traitait surtout de l’assassinat d’otages, des mesures de revanche et de « représailles » dirigées contre les partisans dans les Balkans. Mais l’histoire de ces crimes a subi les mêmes processus de refoulement et de formation de légendes à laquelle a été livrée toute l’histoire des Crimes contre l’Humanité, et à laquelle la justice allemande de l’après-guerre a participé de manière décisive.

Malgré des centaines d’enquête, une seule procédure concernant des crimes de guerre commis en Grèce a été ouverte, devant le tribunal d’Augsbourg (en Bavière, Allemagne). Il s’agissait de l’exécution par balles de six civils en Crète. La tribunal a fait sien le point de vue de la Wehrmacht, selon lequel «le terme de partisans (…) englobait toutes les personnes civiles en territoire occupé qui étaient suspectes, serait-ce même de façon approximative, d’avoir commis des actes hostiles». Ainsi, le tribunal d’Augsbourg a qualifié ces exécutions de «légitime défense selon le droit international», pour acquitter le capitaine qui était accusé.

Cette argumentation des juges a été la cause pour laquelle toutes les autres enquêtes judiciaires ont été arrêtées. Le parquet de Buchum (dans le nord-ouest de l’Allemagne) a motivé son acte de clôture de l’enquête contre le dirigeant d’un groupe de combat de l’armée nazie, qui avaient participé à l’un des plus gros massacres commis en Grèce – l’ « opération Kalavrita » -, en invoquant la nécessité de telles représailles. Ces dernières auraient été des « moyens licites et conformes au droit international, pour contraindre les partisans à respecter le droit international

La justification de tels crimes de masse commis contre la population civile, en les qualifiant de «représailles conformes au droit international», joue aussi un rôle actuellement en ce qui concerne le refus du gouvernement fédéral allemand d’entrer, ne serait-ce que dans un dialogue avec le gouvernement grec à propos de ses demandes d’indemnisation.

Norman Paech est Professeur émérite et un homme politique. La rédaction de FCH a extrait le texte ci-dessus de l’introduction d’un article plus volumineux que N. Paech a publié dans la revue « Kritische Justiz » (Justice critique), 1999, numéro 3, p. 380 et suivantes. Un constat aussi triste qu’étonnant: la situation a très peu évolué depuis 16 ans.