Lorsqu’en Allemagne, le sujet des crimes allemands pendant la période nazie est abordé, des réponses souvent agressives fusent dans les cafés du commerce et dans les médias allemands – ces derniers ne dépassant souvent pas le niveau des cafés du commerce, sur ce point. Même le président du Parti social-démocrate allemand (SPD) et numéro deux du gouvernement, Sigmar Gabriel, a déclaré à ce sujet que la revendication d’une réparation serait «stupide, pour être honnête». FactCheck:HELLAS – Solidarité avec la population en Grèce (FCH) publie en page 8 une carte afin de documenter les destructions que la puissance occupante allemande a commises en Grèce. Dans les paragraphes qui suivent, nous répondons aux assertions les plus habituelles qui sont exprimées, aux comptoirs des cafés du commerce et ailleurs, lorsqu’est abordé le sujet d’éventuelles réparations allemandes à la Grèce et celui de l’indemnisation des victimes de crimes nazis.

Assertion: Les événements en Grèce au cours de la Seconde guerre mondiale furent des phénomènes ordinaires en temps de guerre, certes regrettables mais somme toute normaux.

Réponse FCH: C’est, de toute évidence, faux. Les crimes nazis pendant la Seconde guerre mondiale sont singuliers et non comparables avec des événements «classiques» au cours d’une guerre. Le droit international alors en vigueur, tel que la Convention de la Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (1899) et la Convention de Genève (1864), a été systématiquement violé. Il n’y a pas eu de crimes comparables du côté des adversaires du régime national-socialiste. Il y en a eu partiellement dans le cas du Japon, une puissance de l’Axe alliée à l’Allemagne nazie. Ce qui ne relativise pas l’accusation portée contre l’Allemagne.

Assertion: Tous ces événements sont prescrits depuis longtemps.

Réponse FCH: Il n’existe pas – à juste titre – de prescription pénale en cas de génocide, ni en cas de Crime contre l’Humanité. En mai 2015, aux Pays-Bas, est tombée une décision suscitant beaucoup d’attention. Un tribunal à La Haye a reconnu comme fondée, la demande d’indemnisation introduite par des ayants droit au nom de combattants pour la libération qui avaient été assassinés dans les années 1946 à 1949 par la puissance coloniale néerlandaise en Indonésie. Dans la période la plus récente, plusieurs procédures ont eu lieu devant des tribunaux allemands au cours desquelles des criminels nazis des années 1940 à 1945 ont été jugés et condamnés. Il faut poser la question, en retour: comment est-il possible qu’en Allemagne, il ait été «oublié» – ou omis – pendant 70 ans de traiter ces Crimes contre l’Humanité et de demander des comptes aux responsables?

Assertion: L’Allemagne a payé depuis longtemps des indemnisations et réparations pour le passé nazi. Des sommes financières considérables ont aussi été versées à la Grèce.

Réponse FCH: Ce n’est pas le cas. L’Allemagne d’après-guerre aurait dû, sur la base de la «Conférence des réparations sur l’Allemagne» tenue par les Alliés à Paris du 9 novembre au 21 décembre 1945, verser une forte somme à la Grèce au titre des réparations. Lors de cette conférence, la partie grecque a fondé ses demandes entre autres sur un document que FCH publie dans ce numéro, page 8. Ce n’est qu’une infime parie de la somme ainsi trouvée qui a été versée; le montant le plus important, 115 millions de Mark allemands de l’époque, a été transféré en 1961. Ce versement était cependant intégré dans un très mauvais contexte: le organisateur en chef de la déportation des juifs et juives de Grèce dans les camps d’extermination, Max Merten, qui avait été condamné à une longue peine de prison en Grèce, a ainsi été libéré, «racheté» de fait par le gouvernement de l’Allemagne fédérale.

En février 1953, cette dernière avait conclu l’ «Accord de Londres sur les dettes» avec les puissances alliées de l’Ouest (Etats-Unis, Royaume Uni et France). Dans cet accord, la question des réparations fut renvoyée à un traité de paix ultérieur, projeté pour le temps où les deux Etats allemands seraient réunifiés. Lorsqu’en 1990, cette réunification s’est produite – de manière historiquement inattendue –, délibérément, aucun traité de paix n’a été conclu. Le gouvernement allemand a déclaré unilatéralement, depuis, que la question des réparations était désormais «prescrite». La Grèce n’a jamais donné son accord à cette position. (Voir nos développements plus longs dans FCH numéro 1, pages 4 et 5; edition Allemand).

Assertion: Si on cède dans le cas de la Grèce, de nombreux autres pays vont se manifester et présenter des demandes…

Réponse FCH: Ce constat est justifié. L’Allemagne nazie avait occupé la majeure partie de l’Europe. Cela a fait naître de multiples demandes de réparations. Certains pays ont obtenu une partie des réparations qui leur étaient dues, au titre d’une compensation des dommages et des dégâts qui leur avaient été causés par la guerre. La France, par exemple, a pu obtenir des réparations dans le Sud-Est de l’Allemagne – dans la zone qu’elle occupait à partir de 1945 – et dans la Sarre. L’URSS et la Pologne ont, à leur tour, trouvé des réparations en RDA, l’ex-Allemagne de l’Est. Dans certains cas, des contrats bilatéraux ont été conclus dont on peut considérer qu’ils ont clos le dossier. Mais il n’y a pas eu de règlement contractuel définitif au sujet de l’indemnisation des victimes de crimes nazis. Aussi brutale la conduite du régime nazi en Grèce fût-elle – elle a été encore plus brutale en Pologne, en Biélorussie et dans toute l’URSS occupée.

Le traitement le plus agressif, le plus meurtrier a été réservé partout, par l’Allemagne hitlérienne, aux populations juives. Cela a aussi le cas en Grèce. Voir l’exemple de la déporation de la population juive de Thessalonique (voir page 7).

Le constat que le sujet de l’indemnisation des victimes de crimes nazis et celui des réparations n’ont pas été définitivement réglée, dans un certain nombre de pays d’Europe, ne pourra jamais justifier une position selon laquelle de tels crimes ne devraient pas été abordés lorsqu’ils ont été commis en Grèce.

Assertion Le gouvernement grec n’a pour objectif que de «compenser» ses propres dettes avec les prétendues réparations.

Réponse FCH Ce n’est pas vrai. Les déclarations officielles du gouvernement grec vont dans une autre direction. Le ministère des Affaires étrangères grec, Nikos Kotzias, a déclaré en mai 2015 dans une longue interview qu’il ne s’agit pas concrètement de demandes pécuniaires. Il a plutôt suggéré de créer un «Conseil des sages», composé de personnalités allemandes et grecques, qui aurait pour rôle de mener un travail de clarification sur ce sujet, de manière définitive et équitable. Il s’agit, pour les Grecques et les Grecs, en premier lieu de voir le gouvernement fédéral allemand reconnaître cette dette morale. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, a rejeté brusquement même cette proposition réconciliatrice.

Assertion: Mais pourquoi les Grecs viennent-ils juste MAINTENANT avec de telles revendications?

Réponse FCH: Tout d’abord, il n’est pas vrai qu’Athènes viendrait « maintenant » poser ce sujet sur la table. Différents gouvernements grecs ont, successivement, abordé ce sujet. Le gouvernement précédant celui actuellement en place, celui du conservateur Antonis Samaras, a lui aussi porté la demande de réparations. Sous ce dernier, une commission du parlement grec a été créée dont le rapport a été publié il y a quelques semaines.

Malgré cela, il existe bien entendu une raison pour laquelle ce sujet est débattu sur un ton particulièrement vif depuis le début de l’année 2015. Cette raison est liée à l’attitude du gouvernement allemand envers le nouveau gouvernement grec, élu en janvier 2015, en général et avec sa position envers la question de la dette grecque en particulier. L’Allemagne se montre spécialement intransigeante dans cette situation. Le ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble, se montre à proprement parler impitoyable et cynique, jouant le rôle de supporteur fervent d’une ligne dure au sein de l’Union européenne et au FMI. Il est absolument compréhensible qu’en Grèce, des femmes et des hommes soient remplis d’amertume de voir l’attitude du gouvernement allemand, sur fond du passé allemand, et de voir cette arrogance des puissants; et que beaucoup d’entre eux/elles y voient une certaine continuité…